Il faut savoir rester à l'écoute – interview avec le violoniste Théo Ceccaldi

Autor: 
Maciej Krawiec

À l'occasion de la parution du triple album „Strings Garden” de Joëlle Léandre, nous avons parlé à l'un des musiciens qui y accompagnent la contrebassiste. Il s'agit de Théo Ceccaldi – violoniste très actif sur la scène de jazz européenne qui mène quelques groupes et participe aux collaborations prestigiueuses. En 2017 il a été couronné avec la Victoire du Jazz comme la Révélation de l'Année. Voilà ce qu'il nous a dit non seulement à propos du travail avec Léandre, mais aussi de son parcours artistique en général.


Vous êtes en train d'un été intense – vous avez eu des concerts de votre trio, celui mené par le batteur Sylvain Darrifourcq ainsi que du groupe Freaks. Vous aimez ces périodes où vous vous présentez avec des groupes différents dans quelques pays, devant des publics dont chacune a son énergie à part?

Tout à fait. J’aime voyager et rencontrer des énergies différentes. Je suis un peu schizophrène parfois dans mes choix artistiques ce qui est un challenge intéressant. Un jour je peux jouer en duo une musique improvisée, sur le fil et en acoustique total, dans une petite église devant 100 personnes et le lendemain – faire un festival en plein air, d’une musique rock électrique devant 1000 ou 2000 personnes! La tournée réserve chaque jour des surprises et il faut savoir rester à l'écoute et en harmonie avec l’environnement du jour, c’est ce qui crée l’osmose.

Vos projets d'aujourd'hui font preuve d'une grande variété de vos intérêts artistiques. J'aimerais bien cependant vous demander les débuts de votre parcours musical. Quand avez-vous commencé votre éducation et pourquoi avez-vous choisi le violon?

J’ai commencé le violon à 5 ans avec mon papa qui est aussi violoniste. Puis, j’ai suivi des parcours parallèles à peu près en même temps – grâce à mes parents qui ont toujours stimulé ma curiosité et mon ouverture, je m’intéressais à de différents styles de musique. C'est pourquoi j’apprenais en même temps le classique et le contemporain au conservatoire à Orléans, puis à Paris, aussi bien que le jazz, les musiques improvisées, traditionnelles, le rock...

Quels ont été vos plus grandes inspirations à cette époque-là? Quels compositeurs vous étaient les plus chers?

Les compositeurs qui m’ont le plus marqué dans ma période d’études classiques sont des compositeurs comme Bartók, Stravinsky, Prokofiev ou Ligeti. J'ai été aussi impressionné par la musique de Szymanowski et Lutosławski.

Vous avez mentionné que votre intérêt pour l'improvisation évoluait parallèlement à ce que vous faisiez au conservatoire. Y a-t-il eu quand même quelque moment tranchant en ce qui concerne ce côté de votre pratique de musicien?

La rencontre en 2010 avec Joëlle Léandre lors d’un stage d’improvisation qu’elle dirigeait, fut déterminante dans mes choix et dans mon parcours musical. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de me tourner vers cette pratique créative, au lieu de poursuivre comme musicien d’orchestre ou de musique de chambre. C’est aussi à ce moment-là que j’ai décidé de créer et de composer pour mon premier groupe, le Théo Ceccaldi Trio.

Est-ce que les grands violonistes français – Grappeli, Ponty, Lockwood ou Pifarély – vous ont marqué?

Bien sûr, à des degrés et des périodes différentes de ma vie. J’ai d’abord découvert Lockwood vers 11 ou 12 ans – il m’a vraiment impressionné avec son album new-yorkais „Storyboard” – et
puis Ponty et Grappelli. Finalement, toute l’école récente de cordes françaises m'a fasciné avec la musique de Dominique Pifarély, Régis Huby, Guillaume Roy, Vincent Courtois… Ces musiciens ont gardé les finesses et les techniques de la musique classique – y compris le son, la richesse de timbres, les architectures des pièces – pour les adapter à la musique improvisée. Cela m’a beaucoup influencé.

On peut voir une combinaison pareille dans le travail de votre trio d'auteur – vous y combinez un soin classique pour la forme avec des pulsions improvisées. Bien que vous soyez associés à la musique jazz, vous n'abandonnez pas le côté classique de votre jeu.

Non surtout pas, c’est ce qui fait la richesse du violon pour moi.

De ce point de vue, la collaboration avec l'Orchestre National de Jazz est digne d'être mentionnée. Vous en faites partie depuis quelques années. Aimez-vous ce type de la musique où vous êtes un élément d'un ensemble plus grand?

Je me suis mis au service de la musique d’Olivier Benoit et j’y ai rencontré des partenaires formidables avec lesquels je joue aujourd’hui, comme Alexandra Grimal, Hugues Mayot, Fidel Fourneyron...

Sur „Strings Garden” vous accompagnez Joëlle Léandre dont l'influence sur vous a été déjà mentionnée. Pouvez-vous décrire votre communication artistique?

Avec Joëlle tout est fluide car nous dialoguons de cordes à cordes. On connaît tellement bien nos instruments que nous pouvons varier les modes de jeu de manière quasi instantanée car c’est très instinctif. De plus, j’adore la personnalité de Joëlle, sa sincérité dans la musique et son immense écoute. C’est une rebelle et elle a aussi un humour décapant, elle sait avoir la gravité et la légèreté à la fois. C’est un duo très riche et lyrique! Nous sommes des lyriques, elle et moi, aussi!

Quels sont vos souvenirs de la session pour ce disque?

Je me souviens que la session était incroyable. Nous avions joué la veille à Varsovie dans un magnifique festival avec le tentet de Joëlle et nous avions fait la fête dans un bar incroyable. Il y avait plein de petites pièces, c’était comme dans une grande maison. C’était juste à côté de notre hôtel. J’étais très agréablement surpris quand j’ai appris que le lieu du concert et de l’enregistrement se ferait dans ce même endroit le lendemain. C’était très beau et très doux comme soirée, avec juste une petite dizaine d’invités pour assister à la session live.

Vous résidez à Paris. C'est comment la vie là-bas maintenant? Est-ce que c'est une ville qui vous inspire et excite?

Paris est magique mais je pense que c’est une ville parfaite quand on est musicien comme moi.
On la retrouve après être parti quelques semaines et on est très content de retrouver sa joie, son activité, sa fureur aussi, mais si on y reste trop longtemps sans bouger, elle finit par vous écraser et vous asphyxier.